Vendredi 5 Juillet, 22h57
J'descends la rue dans la chaleur d'la nuit
Pas mal de monde, pas mal de bruit
Un léger souffle d'air tiède traverse mon t-shirt et glisse sur ma peau
Ça fait comme les caresses d'une ado timide
Les trottoirs et la chaussée sont pleins, y a d'tout
Des blancs, des turcs, des kainfs, des indiens, des albanais, des pakis
Des gens pouilleux, des gens sapées, des filles jolies
J'en croise une plus âgées qu'moi
Et je me dis que j'aimerais bien essayer une fois pour pas mourir idiot
Je circule entre les épiciers, les taxiphones, les kebabs louches
Les affiches de chanteur du moment mondialement inconnu et les bars branchés
Où j'ai jamais trop su comment m'tenir mais c'est pas grave si certains y sont bien
Alors c'est bien
Ça sent l'cumin et l'safran, la bière renversée, la cigarette, la viande grillée
Ça sent l'été, le vrai, celui qui répare mais déjà je dois m'engouffrer dans la station
C'est pas grave ce soir rien peut m'toucher
J'flotte au-dessus du sol, les planètes sont alignées
Dans les galeries pas d'grosses surprises, encore cette odeur douteuse
Et c'est 4 par 3 toujours pas indispensable
Pour un film obscur qui fera surement un four, une comédie raston
La énième tournée d'adieu d'un groupe de vieux musiciens aux cheveux teints
Pour des spectacles de jeunes comiques en théorie pas hyper marrants
Pour des marques de vêtements portés par des filles
Qui ont l'air d'avoir des problèmes avec leur père
Et une campagne pour la mobilité qui sensibilisera peut-être personne
Mais avec une actrice plutôt mignonne
Et là j'recroise ces deux filles longilignes qui s'tiennent par la main
Exactement les mêmes que j'ai vu hier près d'chez mon oncle
J'trouve ça touchant et étrange, autant qu'cet immense guinéen au bout du couloir
Qui braille avec une voix métallique comme un putain d'cor tibétain
Une goute d'eau croupie tombe des poutres Eiffel dont la peinture fait des cloques
Elle atterrit dans mon cou, c'est dégelasse, mais j'ai pas l'temps d'jurer
J'entends la sonnerie d'la rame au loin
Ce soir rien peut m'toucher, j'flotte au dessus du sol, les planètes sont alignées
♪
Dans la rame un kosovar qui joue d'une trompette-violon bizarre
J'me demande quelle vie il avait avant
Tandis qu'il anime mon trajet et celui du groupe de ricains à côté
Ils ont l'air un peu perdu avec leur physique tout lisse de gros bébé du futur
J'arrive à mon changement, j'passe devant les vendeurs d'fausses clopes à la sauvette
Qui courent, qui crient, presque jour et nuit
Ça m'effrayait parfois quand j'étais gamin
Et qu'on venait dans l'quartier avec ma mère et les frangins
Mais maintenant ça va, maintenant c'est cool
J'monte vers le quai d'la plateforme aérienne et à chaque fois qu'j'suis là bizarrement
J'repense à cette fille avec qui j'ai fait l'amour pour la première fois
Elle habitait juste à côté
On m'avait dit qu'c'était un peu une trainée mais en vrai, pas tant
Ça avait été une jolie nuit
J'laisse mes pensées dérivées où elles veulent
Constatant avec satisfaction
Le plaisir d'arriver à faire rouler les images et les mots comme sur des colliers de perles
Mais j'oublie pas qu'j'dois faire des chansons
Dans tous les cas ce soir rien peut m'toucher, j'flotte au dessus du sol, les planètes sont alignées
J'ai 27 ans, bientôt 28
C'est fou comme le temps fil
J'ai 27 ans, bientôt 28
Et j'pourrais m'dire qu'mes belles années sont derrières moi
J'ai 27 ans, bientôt 28
Pourtant j'ai pas d'regrets
J'ai 27 ans, bientôt 28
Et ce soir j'ai l'impression d'être en 98
♪
Je sors et toujours la chaleur dehors
J'avance sous la voute des marronniers qui font comme une tonnelle
J'serais bien aller dans les magasins pas loin
Chez ces mecs pas méchants mais un poil suffisant
Poser mes doigts sur un instrument mais c'est fermé et puis faut qu'j'avance
Tout d'un coup sorti d'je sais pas où
D'la musique genre malienne mais chanté en espagnol ou peut-être de la folk indienne
En tout cas un truc que j'ai jamais entendu et j'aime bien
On dirait Dear Prudence, y a des drums rondes et mates et asynchrone
Ça intéresse pas beaucoup les blédards désoeuvrés qui traînent dans l'allée
On n'arrête pas l'biz, allez, ça s'enjaille, ça s'embrouille
Y a une odeur nouvelle dans l'air depuis quelques temps, une odeur d'apocalypse
J'me surprends à penser qu'le déclin est arrivé, ça y est, c'est pour nous
Et puis malgré tout j'suis pas si inquiet, après tout faut arrêter
On a d'la ressource, on est pas les derniers burnés, on va s'démerder, bref
J'suis arrivé en bas d'l'immeuble terminus, j'dois monter
Ce soir rien peut m'toucher j'flotte au dessus du sol, les planètes sont alignées
J'ai 27 ans, bientôt 28
C'est fou comme le temps fil
J'ai 27 ans, bientôt 28
Et j'pourrais m'dire qu'mes belles années sont derrières moi
J'ai 27 ans, bientôt 28
Pourtant j'ai pas d'regrets
J'ai 27 ans, bientôt 28
Et ce soir j'ai l'impression d'être en 98
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