Dès le matin, par mes grand'routes coutumières Qui traversent champs et vergers Je suis parti clair et léger Le corps enveloppé de vent et de lumière Je vais, je ne sais où, je vais, je suis heureux C'est fête et joie en ma poitrine Que m'importent droits et doctrines Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux Je marche avec l'orgueil d'aimer l'air et la terre D'être immense et d'être fou Et de mêler le monde et tout À cet enivrement de vie élémentaire Oh, les pas voyageurs et clairs des anciens dieux Je m'enfouis dans l'herbe sombre Où les chênes versent leurs ombres Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu Les bras fluides et doux des rivières m'accueillent Je me repose et je repars Avec mon guide, le hasard Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles Il me semble jusqu'à ce jour n'avoir vécu Que pour mourir et non pour vivre Oh, quels tombeaux creusent les livres Et que de fronts armés y descendent vaincus Dites, est-il vrai qu'hier il existât des choses Et que des yeux quotidiens Aient regardé, avant les miens Se pavoiser les fruits et s'exalter les roses? Pour la première fois, je vois les vents vermeils Briller dans la mer des branchages Mon âme humaine n'a point d'âge Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil J'aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse Et mes cheveux amples et blonds Et je voudrais, par mes poumons Boire l'espace entier pour en gonfler ma force Oh, ces marches à travers bois, plaines, fossés Où l'être chante et pleure et crie Et se dépense avec furie Et s'enivre de soi ainsi qu'un insensé