Hé quoi les matelots, vous avez tous la frousse Ah oui, je le sais bien, il est vieux mon trois-mâts Mais il lui faut douze hommes, un capitaine, un mousse Qui le remonteront vers le Guatemala Alors pendant huit jours, il cherche un équipage Contraint de le former de marins d'occasion Vagabonds sans aveu, dont certains tatouages Affichent l'anarchie et la révolution Mais lui le malabar Lui qui n'a peur de rien Au moment du départ Leur dit "Je vous préviens Je suis le maître à bord Moi seul je suis le maître Bien des costauds, des forts Ont dû le reconnaître Je vous promets, moi commandant Double ration, bon vin, bonne goutte Je serai juste et indulgent Oui, mais il faudra qu'on m'écoute Et maintenant le cap au Nord Je suis le maître à bord" Depuis quarante jours, le navire est en route Les vents sont contre lui, le mauvais temps aussi Et bientôt plus de vivres et plus d'eau dans les soutes On sent que la révolte est à bord et grandit S'avançant dans la nuit, quatre hommes fous de rage Vont, l'insulte à la bouche, le couteau dans la main Parler au capitaine au nom de l'équipage "Il faut que tu nous donnes du biscuit et du vin" Alors le malabar Leur dit" Voyez là-bas Voyez briller ce phare C'est le Guatemala Je suis le maître à bord Ce soir, demain, j'espère Nous toucherons au port Vous serez libres à terre Oui mais ici, mille sabords Je n'admets pas la moindre riposte Je materai tous les plus forts Que chacun regagne son poste Sur vous, j'ai droit de vie, de mort Je suis le maître à bord" Mais la brise fraîchit, ballotté par la houle Le trois-mâts va tanguant, sous la force du vent De tribord à bâbord, il va, il vient, il roule "Qu'on me donne la barre", a dit le Commandant Bientôt c'est l'ouragan, on ne voit plus le phare Les voiles se déchirent et les flots furieux Enlèvent un marin, alors le malabar Sent le trois-mâts craquer et crie "Sauve qui peut Les canots à la mer Que Dieu veille sur vous" Et tous les matelots crient "Venez avec nous" "Non, je suis le maître à bord Je dois le reconnaître Mes droits me rendent fort Me font parler en maître Mais le devoir commande encore Demeure au pied du mât de misaine Tu ne dois pas quitter ton bord C'est le devoir du capitaine Et maintenant, face à la mort Je suis le maître à bord"