Un banal soir de mars, je flânais rue du Havre Perdu dans une foule anonyme et grouillante Quand soudain toutes ces faces indifférentes Se transformèrent en visages de cadavres Leur putréfaction d'un vert un peu livide Se trouait de deux répugnants orbites vides La mâchoire édentée vomissant en silence Le filet d'une glauque et sombre pestilence Et depuis ce funeste, inoubliable jour C'est implacablement, chaque fois que je sors Cette affreuse cohue qui partout à l'entour Horriblement ballade ses têtes de mort Et toujours je ne trouve qu'un contre-poison A cet éternel et épuisant cauchemar Commander un alcool brûlant comme un tison Dans le premier café, tremblant sur le comptoir Le patron, sans un mot, prépare la mixture Mélangeant les liqueurs en subtiles algèbres Mais pourquoi le cocktail prend-il le goût impur De l'eau pourrie suintant des fontaines funèbres ? Désormais tout liquide, en mouillant mon gosier A la saveur abominable et mortuaire De ces flots qui dominent sous les noirs cyprès Dans l'humus encombré de croupissantes chairs Alors comme un dément je m'enfuis du troquet Escaladant la butte jusqu'au Sacré-Coeur Dans le fébrile espoir qu'un air un peu plus frais Apaisera un peu cet odieux haut-le-coeur Mais toujours il se lève un grand souffle glacé Qui d'Ivry à Clichy, de Pantin à Boulogne Ne charrie qu'un nauséeux relent de charnier Comme si Paris s'était couverte de charognes Et le ciel se déchire en une immense trombe Pour laisser résonner un sinistre tonnerre Une clameur lugubre, surgie d'outre-tombe Me criant que bientôt je nourrirai les vers